Pensée exclusivement par le gouvernement, sans aucun recours au conseil national de l’Ordre des architectes, la loi ELAN vise à construire « plus vite, mieux et moins cher ». Elle consiste en 66 articles touchant de près ou de loin à l’urbanisme, qui visent un seul et même but : alléger les règles pour faciliter la construction.
L’un des textes principiels de la loi ELAN consiste notamment à se passer du concours des différents acteurs inhérents à toute construction : maîtres d’oeuvres et architectes ne sont ainsi plus essentiels à un chantier de construction, au profit du constructeur. Ce texte soustrait aux prérogatives de la création urbaine, tout consensus entre les différents partis intégrés à la dite construction, et laisse plus ou moins le libre-arbitre aux financeurs.
Pour les architectes, il s’agit d’une « anarchisation » du processus de construction, et d’un véritable retour en arrière concernant des pratiques adoptées il y a déjà une cinquantaine d’années, lesquels ont fait leurs preuves. Denis Dessus, président du conseil national de l’Ordre des architectes, regrette amèrement ce projet de loi : «Cette loi détruit tous les outils de la qualité architecturale. C’est catastrophique pour le cadre de vie»[1]. Le 17 mai dernier, les membres de la profession, pourtant peu habitués des regroupements, sont descendus manifester dans la rue. Sans aucun résultat.
Un aménageur public interviewé par le journal Libération dénonçait que déjà, dans le cadre de la loi MOP, avant la loi ELAN, les maîtres d’oeuvres d’exécution, engagés spécialement par les promoteurs, disloquaient facilement un projet pour des motifs financiers, sans prendre en compte l’avis des architectes. Une fois la loi ELAN passée, ce sera chose commune, et les architectes n’auront plus leur mot à dire.
La loi ELAN ne prévoit l’application de la loi MOP que dans le cadre de la construction des logements locatifs aidés par l’État. Pour le reste, les bâtiments se passeront du concours des architectes et des spécialistes en tous genres. Parallèlement, le gouvernement impose aux HLM une baisse des loyers considérable (1,5 milliard d’euros), dont le manque à gagner sera ponctionné directement sur les APL des locataires. Le but ? revendre les logements sociaux au maximum (multiplier le nombre de revente par 6 à moyen terme). Si les logements sociaux ne sont plus caractérisés comme tels esthétiquement, alors, il peuvent être revendus à des particuliers accédant à la propriété sans que cela ne soit trop visible.
Ces logements sociaux ont pourtant pu, grâce à la loi MOP, bénéficier d’architectures mémorielles, capables d’imprégner des secteurs entiers de toute une ville, et de rendre célèbres certains créateurs : on pense notamment de la cité Radieuse de Le Corbusier à Marseille, aux Grands espaces d’Abraxas de Bofill, et aux Arènes de Picasso de Núñez Yanowsky, à Noisy-le-Grand.
Si la loi ELAN conduit à s’interroger sur les qualités esthétiques des constructions à venir, elle mène également à des questionnements techniques : si plus aucun consensus n’est nécessaire au préalable de la construction, alors, comment garantir les bien-fondés structurels en matière de maîtrise d’oeuvre en finalité ?
C’est notamment le cas concernant les normes sismiques, parce que si l’article (19 ter) Caractéristiques géotechniques des terrains de la loi, précise : « Pour réduire les risques de sinistrabilité, un nouvel article L. 271-7 du code de la construction et de l’habitation (CCH) rend obligatoire la transmission par le vendeur d’une fiche d’information mentionnant les caractéristiques géotechniques du terrain, notamment dans les zones de retrait-gonflement des argiles ou sismiques. », il n’y a néanmoins plus d’architecte responsable et garant de la technicité de la construction. Il est incertain que la transmission d’une fiche d’information suffise à garantir un bâtiment en cas de sinistre sismique.
Prévue pour être promulguée à l’automne prochain, la loi ELAN fait consensus sur sa dimension problématique : en se passant du concours des architectes, elle met à mal les dispositifs mis en place depuis un demi-siècle, remettant par là en cause les qualités esthétiques et techniques des constructions concernées (quasiment la totalité).
En observant les méthodes pratiquées par le gouvernement relativement aux bailleurs sociaux, il est naturel de s’interroger sur le bien-fondé de cette loi. L’inquiétude demeure concernant les normes sismiques des dites constructions : le transfert d’une fiche informative ne constitue, a priori, pas une garantie supérieure au concours responsabilisé d’un architecte en cas de sinistre sismique.
[1] http://www.liberation.fr/france/2018/05/17/logement-la-loi-elan-se-passe-des-architectes_1650548